Les grèves perlées, l’autre métier des fonctionnaires de mon pays

Article : Les grèves perlées, l’autre métier des fonctionnaires de mon pays
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24 novembre 2015

Les grèves perlées, l’autre métier des fonctionnaires de mon pays

Au pays désigné autrefois « quartier latin de l’Afrique » la grève répétée est la nouvelle fonction des travailleurs.


 

  • Un cercle infernal

Chez moi au pays, très loin là bas, sur les rives de l’océan Atlantique, dans le Golfe de Guinée, sous l’ombre des palmeraies et des cocotiers, être fonctionnaire est parfois synonyme de grèves. Dans tous les cas, la différence n’est pas trop grande.

En effet, depuis que le régime révolutionnaire du PRPB fut balayé en 1989 par les Forces Vives de la Nation lors de l’historique conférence nationale, il n’y a jamais eu d’année où les centrales syndicales n’ont pas manifesté leurs mécontentements par des grèves et autres sit-in. Des fonctionnaires de l’Etat abandonnent ainsi leurs bureaux et services et se transforment en batteurs de tambours, banderole rouge déroulée autour de la tête, gons et castagnettes au point. Ils deviennent des marcheurs infatigables sous le chaud soleil des tropiques, transpirant dans leur t-shirt aussi rouge et criant à tue-tête leur ras-le-bol à qui veuille les entendre. Ils lancent des slogans hostiles aux gouvernants, déversent leur venin sur ceux qui osent se mettre en travers de leur passage. C’est la grève, ou encore marche de protestation contre le gouvernement en place et son chef en premier.

Du côté des enseignants, ce qui me surprend, c’est qu’ils ne se lancent jamais dans ces mouvements de protestation en vacances. C’est soit au début de la rentrée, soit à l’approche des examens que le mécontentement leur monte au cerveau. Alors ayant perdu trop de temps à danser devant la présidence et sur la grande place rouge de la ville, il faut rattraper les programmes des cours écorchés.

  • Les raisons

Les raisons sont souvent différentes d’une corporation professionnelle à une autre. Au moment où certains fonctionnaires grèvent pour l’augmentation des salaires, d’autres font des marches pour exiger le paiement des primes. Par ailleurs, au moment où certains dénoncent des concours frauduleux, d’autres par contre marchent pour supporter les mêmes concours. Un véritable imbroglio au niveau des secrétaires généraux des centrales syndicales qui en arrivent parfois à s’insulter par médias interposés. Des secrétaires généraux qui ne vont jamais à la retraite. Ils ne quittent jamais leur poste. Ils sont toujours reconduits à chaque élection, même si l’âge de faire valoir leur droit à la retraite vint à les surprendre.

Dans tous les cas, il est rare de voir les fonctionnaires de chez moi, dans mon lointain pays là-bas, faire des grèves pour renouveler un matériel technique, ou encore moins pour que l’Etat construise une école ou un dispensaire. Je voudrais ici citer un exemple: des agents de santé sont entrés en grève pour qu’on change les pinces et autres ciseaux qui ont servi à former les maitres de médecine, fondateurs de cet même hôpital. Mais là encore le ministre de la Santé de ce temps, lui-même médecin a vite fait de contrarier ses pairs en montrant à la télévision des instruments neufs, que ses détracteurs ont qualifié de deuxième main ou tout simplement d’occasion. Des instruments rouillés repeints à la hâte.

  • Les négociations

Dans ces moments de tension, il est urgent de trouver des voies et moyens pour sortir de la crise. Alors que fait le gouvernement de mon pays ? Il met en place une commission ad hoc chargée de rencontrer les fonctionnaires mécontents et de trouver des solutions aux éternels problèmes dont le chef n’est jamais au courant. Alors commence donc des séries de pourparlers entre fonctionnaires et ministres chargés de la difficile, voire douloureuse, mission. A la sortie des séances, au moment où le ministre délégué, principal négociateur affiche sa satisfaction de voir la séance se dérouler convenablement, c’est à ce moment que le syndicaliste, couvre-chef rouge sur la tête et longue écharpe rouge déroulée autour du cou, d’un rire cynique annonce aux journalistes que leurs interlocuteurs sont de mauvaise foi et rien n’a bougé sur les revendications des grévistes. Ainsi le peuple est pris en otage entre la parole de son ministre délégué et celle du representant des travailleurs.

  • Les victimes

Chez moi, toujours dans ce pays lointain là-bas, où coule tranquillement l’eau du fleuve vers la mer, un adage populaire dit ceci: « Quand deux éléphants se battent, ce sont les herbes qui en souffrent« . Effectivement, quand les ministres et les délégués syndicaux autour des verres de champagne refusent d’accorder leur violon sur des questions de procédures et de négociations, ce sont les élèves qui sont à la maison. Ils abandonnent les cours et deviennent des cybercriminels, des brouteurs. Dans tous les cas, le professeur n’est pas venu donné son cours. Que fait l’élève ? Il se cherche, il se débrouille.

Les autres victimes sont les usagers de la fonction publique. Du lundi au jeudi, les portes des services publique sont closes, et vendredi il y a QG ou AG de compte rendu. Donc durant toute la semaine pas de service public. Au tribunal comme à l’hôpital, le scénario est le même. Les portes fermées vous regardent et vous sourient: le prestataire de service est aux négociations, revenez la semaine prochaine.

  • Les résultats

Ayant vécu ces moments de débrayage six mois sur les neuf que comptent l’année scolaire, le système demande aux élèves d’aller aux examens de fin d’année. Alors on s’étonne d’avoir des taux de réussite de 10%. A l’université, on est surpris de voir des étudiants ne pouvant s’exprimer en langue française, celle dite de travail. Pourquoi être étonné quand on a passé son temps à gréver ?

Ayant formé des cadres amputés, au rabais, on s’étonne que les concours soient frauduleux et que l’administration soit faite de népotisme, que la corruption dispute la place à l’équité.

Chez moi, très loin là-bas, où le fleuve coule emportant vers la mer la joie et les peines des pêcheurs, le système est enrhumé. Les prochaines élections présidentielles arrive à grands pas, il faut vite lui trouver un remède.

 

 

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Commentaires

ABITAN
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Puisse vos critiques nous édifier et donner un renouveau à notre cher pays.
Mais comment y remédier avec le nouveau gouvernement de 2016,à cette situation de grève intempestive dans notre pays le Bénin?votre commentaire est resté là sans réponse.

Fotso Fonkam
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Bel article qui soulève un problème qu'on retrouve autant au Bénin qu'au Cameroun chez moi.

Ceci dit, s'il est juste d'indexer les fonctionnaires qui font grève, ce qui est d'ailleurs leur droit, il ne faut surtout pas oublier de citer le gouvernement qui ne prend généralement aucune mesure pour que les agents de l'État travaillent dans des conditions décentes. Autant les enseignants doivent se préoccuper du sort des élèves quand ils grèvent, autant les ministres en chargent doivent se sentir responsables des conséquences de ces grèves qu'ils occasionnent d'une façon ou d'une autre.